Kwaja 'Oubeyd Allâh Ahrâr
appelé aussi communément Hadrat al-Ihssân naquit dans le village de
Baghistan près de Tashkent. Certaines données sur sa vie et sur ses enseignements ont
été rassemblées par l'un de ses disciples: Fakhr al dîn Ali B.
Hussayn Wa'iz al Kâshifî dans l'un des livres fondamentaux de la confrérie
Naqshabandi qui mentionne également le comportement d'autres maîtres de cette voie:
Rashahât 'ayn al hayat (2 vol. ed. Téhéran, 2356).
Pour ses
études 'Ubayd Allâh part à Samarkand vers l'âge de vingt deux
ans mais très vite il ne se sent pas attiré par cette forme d'enseignement officiel, il
essaye de se forcer à le suivre mais pour résultat tombe malade. Aussi deux ans plus
tard, choisit-il finalement de partir vers Hérat dans le Badakshan o il pouvait rencontrer des
maîtres soufis et c'est là qu'il rencontrera celui qui l'initiera à la voie
Naqshabandi: Hadrat Mawlana Ya'qûb al Charqî.
Il vécu dans son adolescence
très pauvrement à Hérat. Il n'avait pas de vêtements de rechange et
son turban était en loque; parlant de cette époque, il disait que dans l'état
d'usure o étaient ses vêtements, ils ne le protégeaient pas du froid..." dans
ma quête de Dieu -ajoutait il-je n'ai jamais eu, même en plein hiver; une cuvette d'eau chaude
pour mes ablutions". Concernant cet état, il raconte comment il rendit visite à
Sayyid Qasim Tabrizi lequel lui donna la moitié du contenu de son assiette en disant: "Oh
Prince héritier du Turkestan, de même que la souffrance a été une
protection pour moi, puisse-t-elle l'être aussi pour toi dans le monde invisible".
Khwaja 'Ubayd
Allâh avoua plus tard au sujet de ce maître: "A l'époque o le Sayyid me dit ces
mots, j'étais extrêmement pauvre. Je ne possédais pas le moindre des biens de
ce monde. Si, par la suite je connus la richesse et la prospérité, je sais que je le dois
à la baraka que Qassim Tabrizi insuffla en moi ce jour là".
Khwaja Ubaydullah
considérait d'ailleurs ce maître comme l'un des personnages les plus importants qu'il aie
rencontré. Il disait que "contrairement à ce qui pouvait arriver dans la
présence d'autres maîtres avec qui tt ou tard j'éprouvais un état
qui m'obligeait à les quitter, le bien être que je ressentais dans la présence de
Sayyid Qassim n'alla jamais en diminuant. Chaque fois que je me trouvais en sa présence,
c'était comme si j'étais au centre même de la Réalité et
que ce centre fût établi de façon inébranlable".
Curieusement,
celui pourtant qui va l'initier à la voie des khwaja fut un maître différent pour
lequel il eut au début certaines réticences: Mawlana Ya'qub Charkhi. Il raconte lui
même dans Nafahât al Unss et le Rashahât (Cf, Trad.Bennett-
différentes versions existent en persan et en arabe et nous en préparons une
traduction): "Après avoir étudié quatre ans à Herat, je me mis en
route avec l'intention bien arrêtée d'aller trouver Mawlana Charqi et de lui demander de
m'instruire. J'avais entendu parler de lui quelques années auparavant comme d'un homme
capable de comprendre les subtilités de la voie des Maîtres. Lorsque j'arrivais
à Chiganiyan o vivait Mawlana; je me sentis souffrant. Ce mal persista vingt jours, durant
lesquels j'entendis des choses si désagréables au sujet du Maître que je
renonçais presque à mon projet. Mais j'étais venu de loin pour le voir et je
trouvais stupide de repartir sans l'avoir au moins rencontré.
Je finis donc par me trouver en
sa présence. Il me prodigua d'extraordînaires marques d'attention. J'y retournais le
lendemain et là encore, il m'accabla de tant de compliments que j'en étais
embarrassé. Je décidais de ne pas partir tant que je n'aurais pas
élucidé ce que tout cela signifiait et, pour cette raison, je chassais les doutes que sa
façon de faire avait provoqués. Au bout d'une heure, il se mit à nouveau
à m'abreuver d'éloges extravagantes et à louer mes faits et gestes puis il
me raconta l'histoire de sa rencontre avec Khwaja Baha'u ad-dîn naqshbandî. Soudain, il me
tendit les mains en me disant: "Viens prêter serment! " A ce moment j'aperçus dans ses
mains la blancheur caractéristique de la lèpre, cela me donna le frisson et je n'avais pas
le coeur de prêter serment. Le Mawlana perçut immédiatement mon sentiment
intérieur, retira la main et comme s'il changeait de vêtements, son visage rayonna soudain
d'une telle beauté que toutes mes réticences disparurent et que, d'un bond je le serrai
dans mes bras. Ya'qûb Charqî tendit à nouveau ses mains vers moi et me dit alors:
"Hadhrat Baha-ud-ad-dîn Naqshbandî prit ma main dans la sienne et il me dit: "ta main est ma
main. Quiconque prend ta main a pris ma main. Cette main que je tends et celle de khwaja Baha-ud-
dîn Naqshbandî. N'aie aucun doute et serre la".
Je prie alors sa main bénie dans la
mienne et il m'enseigna sur le champ la voie du travail conscient. Puis il ajouta: "Voilà ce que
j'ai reçu de Baha-ud-dîn. Si tu veux, tu peux instruire tes propres élèves
dans la voie du labeur et de la souffrance".
Je restais trois mois participant à toutes les
réunions de groupe; à la fin, Mawlana Ya'qûb me donna la permission de
retourner chez-moi. Lorsque j'allais prendre congé de lui, il me donna l'initiation
complète dans la voie des maîtres. Ces derniers mots furent pour me dire: "tu as
été admis au sein de cette sainte confrérie et il te faudra être
constamment sur tes gardes pour en défendre la sainteté. Puisses-tu être le
moyen par lequel les chercheurs capables atteindront la vérité."
De fait Khwaja
'Ubeyd Allâh Ahrâr sera considéré comme l'un des fondateurs de
la voie Naqshabandi, celui qui lui donnera en tous cas son expression institutionnelle et son extension
géographique.
En 1431, âgé seulement de vingt sept ans,
déjà formé par son maître pour enseigner à son tour, il
retourne à Tashkent o il va s'affirmer rapidement parmi les soufis comme la plus grande
autorité spirituelle de la ville.
Vingt ans plus tard, l'avènement du Sultan Ahmed Said
Mirza, l'amènera à développer une autre fonction que celle de
l'éducation spirituelle: le conseil et l'intervention politique dans les affaires du gouvernement
sur un plan spirituel. Au sujet de ceci, lui même disait que Dieu et son Prophète l'avaient
chargé d'une mission particulière: protéger les musulmans contre les
démons des oppresseurs en établissant des liens avec les rois afin de
conquérir leur âme et d'obtenir ainsi ce qui est nécessaire aux musulmans.
L'auteur du Rashahat raconte l'anecdote suivante très illustrative:
"Nous étions
à Firhat avec Khwaja Ahrar. Un jour il me demanda un morceau de papier et une plume. Sur la
feuille il écrivit le nom de Ahmad ibn Said Mirza, la plia soigneusement et la glissa dans les
replis de son turban.A ce moment aucun d'entre nous n'avait entendu parler de Ahmad ibn Said Mirza.
Certains des amis intimes du Khwaja le supplièrent de leur dire à qui appartenait le
nom qu'il avait écrit. Ahrâr leur répondit: "c'est le nom de quelqu'un qui
exercera bientôt une autorité sur vous et sur moi, sur Tachkent, sur Samarcande et sur tout le
Khorassan.
Peu après cet incident, la renommée du Sultan Ahmad ibn Said Mirza
commença à se répandre à partir du Turkestan. On appris par la
suite que le Sultan avait vu Khwaja Ahrar en rêve lui réciter, sur la suggestion de Ahmad
Yasawi, la Fatiha (les sept premiers verset du Coran).Dans le même rêve Ibn Said demanda
à Yasawi de lui dire le nom du récitant. Yasawi lui dit qu'il s'appelait Ahrar, aussi le
Sultan fixa t-il dans sa mémoire le nom et le visage de l'inconnu. Lorsqu'il s'éveilla,
il demanda si quelqu'un avait entendu parler d'un homme portant ce nom. On lui répondit qu'il y
avait bien un Ahrar à Tachkent...Le Sultan enfourcha sur le champ son cheval et se mit en
route. Il le rencontra en chemin, à Furhat, le reconnut immédiatement, tomba
à ses pieds et lui demanda humblement de réciter la Fatiha. Ahrar
répliqua: "Une récitation suffit".
A partir de ce moment le Sultan devint disciple du
Khwaja.
Cette relation des deux hommes, chacun dans leur fonctions, conformément
ordonnées, le pouvoir temporel reconnaissant la prééminence de
l'autorité spirituelle, est l'exemple même d'une situation archétype qui se
reproduira plusieurs fois dans l'histoire des maîtres Naqshabandi jusque dans le présent
ainsi que nous le verrons plus loin dans le cas du Sheikh Nâzim dont certains actes mal compris
s'éclairent ainsi par les enseignements du passé.
Pour Khwaja 'Ubeyd Allâh
comme pour les maîtres d'aujourd'hui cette mission les inscrit dans la lignée des
héritiers à la fois christiques et mohammadiens. En tant qu'héritiers
mohammadiens et à la suite des premiers "Khalif" leurs préoccupations
étaient aussi de maintenir et vivifier une société de type traditionnelle.
L'objectif d'une telle société ne saurait se suffire du seul bien être
économique, voir même d'une culture ou d'un humanisme coupé de la
dimension verticale de l'homme. Elle veut s'édifier en harmonie avec les aspirations de l'homme
total et selon cet équilibre qui existe en sa conscience entre la vie de ce monde et son devenir
après la mort. L'état de Médîne représentait ce
schéma de société idéale que seuls surent maintenir
véritablement les quatre Khalifs de l'Islam qui succédèrent au
Prophète.
Au temps de 'Ubayd Allâh Ahrâr la société
s'était déjà beaucoup éloignée de ce
schéma idéal et il était utopique de vouloir le restaurer. Aussi
n'était-ce pas le but qu'il s'était fixé, sachant que cette mission de
restauration incombe au Mahdi lorsqu'il viendra en son temps.
Il s'agissait donc non pas de faire une
révolution afin de changer le pouvoir en place mais plutt de conseiller, d'éclairer et
de convertir les hommes de pouvoir dans les consciences et les coeurs, afin de créer, dans la
sphère la plus étendue, l'atmosphère et les conditions qui permettent de vivre
une expérience humaine complète. Développer les possibilités
d'une vie qui équilibre le bien être matériel, la justice sociale et le
développement spirituel de l'âme.
Khwaja UbeydAllâh en a
donné l'exemple puisque non seulement il convertit les princes timourides, en particulier Abu
Said et Abdul Latif son successeur, installant la paix dans la région, mais il géra lui
même plus d'une centaine de villages faisant des largesses extraordînaires qui lui firent
mériter le nom de "Hadrat al ihsan" (Présence de l'excellence).
Ce fut lui qui
introduisit le système de culture qui fit du Turkestan le grenier à blé de
l'Asie.
Lorsqu'il était à Tachkent, il eut une vision qui l'amena à cultiver
une petite parcelle de terrain avec une paire de boeufs; choisissant le terrain, plantant et semant selon les
indications qu'il avait reçues en vision, il obtint des récoltes extraordînaires,
beaucoup vinrent alors à lui pour demander ses conseils.
D'une façon plus
générale Khwaja UbeydAllâh raconte lui-même comment il
reçu sa mission à la fois de Jésus et de Mohammad, il dit par exemple: "je
vis en rêve le Prophète Jésus. Je venais juste d'avoir quinze ans. Le Seigneur
Saint se tenait droit à la tête du tombeau de khwaja Abu Bakr Shasi. Je tombai
à ses pieds bénis, il me releva la tête et me dit: "Ne te tourmente pas, il est
juste que je me charge moi même de ton instruction". Lorsque je racontai ce rêve a quelques
amis plus âgés, il me dirent qu'il signifiait que je devais étudier l'art de la
médecine. J'interprétais ce rêve à ma façon. Je me disais
que si lui, le plus grand guérisseur des âmes, se chargeait d'instruire quelqu'un d'aussi
indigne que moi, cela ne pouvait signifier qu'une chose: je recevrai le pouvoir de sonder et de purifier les
coeurs des hommes. Peu de temps après, cette interprétation se vérifia: je
découvris que j'étais capable de pénétrer les états
de ceux qui venaient à moi et de leur apporter le réconfort."
Khwaja Ahrâr
se reconnaît donc ici comme il le témoigna souvent dans sa vie, comme disciple et
héritier de Jésus selon le maqam Aissawa (nourri à la station spirituelle
de Jésus) ce qui nous permet de le considérer comme faisant partie de ceux qui
préparèrent la venue du Mahdi ainsi que l'avènement du sceau de la
sainteté totale, Jésus dans sa deuxième venue attendu par l'ensemble des
peuples de Dieu.
Il n'est pas inutile de rappeler aussi que Ubeydullah fut un Akbarien, c'est à
dire dans la ligne de l'enseignement du Sheikh al Akbar Muhyyi dîn Ibn 'Arabî dont il
commenta par exemple les oeuvres à Jami (Nûr-d-dîn Abderrahman, né
en 1414 à Hérat) ainsi qu'en témoigne l'auteur des Rashahat.
En tant qu'héritier mohammadien ainsi que toute sa vie le démontre, le khwaja nous
indique aussi une expérience qu'il fit durant sa jeunesse: il vit le prophète Mohammad
debout au pied d'une montagne près de Tashkent. Le Prophète ordonna à
l'enfant de le porter jusqu'à son sommet et lorsqu'il y fut, lui dit: "Je savais que tu avais la force
nécessaire mais je voulais t'éprouver. Tu devras de même porter et
répandre l'Islam et sa loi". C'est cette mission particulière qui amena Khwaja
Ahrâr à fréquenter les rois pour les convertir et propager l'Islam.
Cette
Paix et ce Royaume éclairé que Khwaja Ahrar souhaitait "sur la terre comme au
ciel" furent donc réalisés en son temps, dans une certaine mesure et selon la
sphère de son influence (le Khorassan au moins et à l'époque ou celui ci
sera l'un des phares de l'architecture des arts et des sciences-astronomie et mathématiques entre
autre-Phare dont l'influence atteindra le japon, l'Angleterre et l'Espagne). Néanmoins ce ne fut
pas non plus sans guerre préliminaire ni sans victoire.
De fait, il conduisit le descendant de
Timour, Abu Said le portant par une prière qui lui donna la victoire sur ses ennemis
extérieurs et intérieurs ainsi que fit Khwaja Sayyid Baraka pour Timour (Tamerlan)
qui désirera même être enterré avec lui.
A différents
titres Khwaja Ahrar établira des modèles pour les générations
futures, il créa par exemple le système de l'exploitation agricole qui intègre les
disciples et l'enseignement, ce que reprendront après lui de nombreux Sheikh Naqshabandi ou
même d'autres confréries. Il est intéressant de remarquer qu'aujourd'hui ce
schéma est vécu également avec beaucoup de succès par la
confrérie "Mouridiya" du Sénégal.
Aujourd'hui encore en tous cas sa
tombe est un centre spirituel très visité à Samarquand, ce qui n'est pourtant
pas le cas de lieux ou des saints tout aussi célèbres que lui furent enterrés.
Il
est vrai que lui même-dans la ligne de Baha-ud-dîn Naqchaband- fut aussi un Oweissî-
c'est à dire l'un de ceux ayant reçu l'enseignement d'un maître
déjà décédé-puisqu'il reçu "l'esprit" de
Khwaja Alâu dîn Attar (mort en 1399) lors d'une visite à sa tombe.
Ch Hisham Kabbani
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