La pratique du "dhikr Khafi", l'invocation silencieuse, n'est pas sans rapport avec la pratique de la "Râbita". Peut être même peut on dire que ces deux pratiques: dhikr et râbita sont articulés entre elles à la façon des deux composantes essentielles d'une bague: l'anneau et la pierre. La lumière du dhikr en effet, demande à prendre forme et à être enchâssée selon une forme particulière. La forme ultime de la lumière, c'est la forme mohammadienne qui n'est jamais représentée car elle se renouvelle à toute époque d'une manière neuve à travers la chaîne de ses héritiers. C'est la réalité de cette forme que contemple le disciple qui pratique la "Rabita" avec l'image de son maître. C'est pourquoi également, la transmission du dhikr et de l'initiation suit le modèle même de la "Râbita".
Dans l'enseignement prophétique tel que nous l'avons reçu par exemple à travers le "hadith" sur: "l'islâm, l'imân, l'ihsân", l'ange Gabriel s'était manifesté sous l'aspect d'un homme beau aux vêtements immaculés sans trace de poussière ou sans les signes d'un voyage bien que venant du désert. Il s'était assis face au Prophète
genoux contre genoux, lui enseignant ou transmettant des vérités, de coeur à coeur. De même un jour, le compagnon du Prophète
Abou Bakr
, reçu cette transmission de façon silencieuse, dans la caverne où il se réfugia avec le Prophète, sur le chemin de Médine. Cette caverne symbolise et réalise selon une harmonie visuelle, l'enveloppement de la conscience dans l'espace spirituel du coeur. Il est intéressant de remarquer l'analogie constante entre le coeur, la caverne et le "Tabut" (expression rappelons-le qui désigne d'une façon générique le lieu d'un dépôt spirituel quelles que soient les formes qu'il prendra dans l'histoire des hommes; l'arche d'alliance, le Graal, ou la pierre noire de la Kaaba).
Ceci est encore plus significatif si l'on remarque que le Coran indique de façon très claire que là où est l'arche d'alliance, là est le roi et que la manifestation d'évidence qui authentifie ce dépôt, c'est la descente de la Sakina. On comprend que ce modèle puisse être aussi celui de l'élection du "Khalif" qu'il soit de ceux qui gouvernèrent les corps où de ceux qui gouvernèrent les coeurs. Or lors de cette transmission du Prophète
à Abou Bakr
, le Coran énonce "Alors Dieu descendit sur eux la Sakina"(Coran 9-40). Cette Paix "Sakina" sera aussi celle que cherchera à réaliser le disciple "murid", selon son degré de réalisation initiatique, comme une expression de la Présence divine dans le silence du dhikr. Pour le murid le Cheikh est le représentant du Prophète
et lui même doit se mettre dans la position de sincérité de
Sayyidina Abou Bakr
. Le disciple est face à son maître qui est pour lui le support de cette lumière mohammadienne (nûr mohammadî) alors, le maître par la force de son tawwajjuh (l'orientation de son coeur vers celui du disciple) projette sa "himma" son énergie spirituelle et sa "rahma" sa compassion, dans le coeur de son élève.
Cette pratique sur laquelle nous reviendrons, si elle existait avant
Shah Baha-ud-dîn Naqshband
a néanmoins commencé avec lui à être pratiquée de façon méthodique. On se souvient de l'anecdote où le gendre de
Shah Baha-ud-dîn
, son élève 'Alau ad-dîn
Attar
, le questionne sur le coeur; le maître répond par une projection effective de son influence spirituelle dans le coeur du disciple éveillant ainsi celui-ci à une nouvelle connaissance. Cette forme de transmission restera (sans être exclusive) l'une des caractéristiques de la voie Naqshabandi. C'est pourquoi un célèbre disciple de
Shah Baha-ud-dîn
la pratiquera après lui aussi avec un rayonnement extraordînaire: 'Oubayd Allâh Ahrâr
.
source : "La Génèse de la Sagesse" Philippe De Vos, Ed Dervy